De la facilité à expliquer les drames après coup...
Printemps 2018 : drame au Pigne d'Arolla. 7 membres d'un groupe engagé sur la traversée Chamonix-Zermatt à ski de randonnée décèdent lors d'une tempête sous la Pigne d'Arolla, à 500m à vol d'oiseau du refuge...
Ce drame m'avait marqué car un an auparavant je m'étais retrouvé au même endroit, en mauvaise posture.
Nous faisions la traversée Chamonix-Zermatt, à la cabane des dix le mauvais temps était annoncé, on avait décidé - à raison - de faire le tour par le bas pour rejoindre la cabane des Vignettes. Le lendemain matin, jour blanc, j'annonce à mes deux acolytes que je pars faire la Pigne d'Arolla en aller-retour, et que je serai de retour à 10h30.
Je suis rentré pile à 10h30, mais après avoir essuyé un demi-tour 20-50m sous le sommet, le vent soufflait fort, je n'y voyais plus rien, et je savais que persister à aller au sommet me faisait basculer dans un mode très aléatoire et dangereux, or j'avais déjà poussé le bouchon un peu loin... En revenant à ski ensuite, en pleine purée de pois, j'étais descendu trop bas et seule ma vigilance m'avait fait m'arrêter quelques mètres au-dessus d'un sérac.
J'avais vite compris mon erreur de trajectoire car je connaissais un peu le coin, et je savais assez précisément où je me trouvais : remonter de quelques dizaines de mètres et partir à gauche toute pour trouver la falaise et la traversée salutaire vers le refuge. Je n'avais ni GPS ni smartphone, à poil complet, serein, mais c'est avec un certain soupir de soulagement que j'avais retrouvé les traces de ski à moitié effacées.
Ce jour là, j'avais joué un peu plus que d'habitude, mais c'est porteur d'une expérience de plus, formatrice, que je retrouvais bien au chaud mes compagnons inquiets.
Printemps 2024 : 6 skieurs, soit la totalité du groupe, meurent de froid à quelques kilomètres de là à Tête Blanche lors d'un entraînement à la patrouille des glaciers. Peu ou mal équipés ils n'ont pu se protéger de la tempête qui a sévi ce week-end là.
Alors oui le mauvais temps était prévu (la tempête de foehn était-elle vraiment annoncée dans le bulletin ?), et ils étaient peu ou mal équipés (notamment en pelles) dixit les journalistes qui rapportent les propos des secours.
L'erreur paraissait grossière, digne d'amateurs au sens péjoratif du terme, mais est-ce une raison pour en tirer des conclusions très hâtives ? Nous n'étions pas là. Ils ont sûrement merdé c'est une certitude, mais l'ont payé de leur vie.
Ces deux drames proches géographiquement ont fait ressortir le documentaire réalisé sur le drame de 2018, traduit depuis en français. Là aussi, les tentatives d'explication ont montré quelques erreurs, et les critiques se sont concentrées sur le guide.
Un téléphone satellite hors service, un téléphone qui n'a plus de batterie. Là aussi, c'est facile de faire le reproche bien au chaud derrière son clavier. Tout cela se décharge très très vite. Et je trouve déjà remarquable que le guide avait un téléphone satellite avec lui.
L'autre guide, Steve House, légende de l'alpinisme, a bien géré son affaire, avec une trace GPX à suivre, mais son groupe était en bien meilleure forme, ils sont donc restés moins longtemps dehors.
On a reproché au guide décédé le manque de communication sur la décision à prendre, mais le groupe étant non autonome, tout reposait sur lui. Il a du se sentir bien seul alors qu'il a du forcément subir une pression plus ou moins inconsciente de certains membres du groupe sur leur volonté de continuer (le documentaire y fait très peu allusion) : il est toujours dur d'annoncer un renoncement à un groupe.
Avaient-ils une carte papier (bien moins pratique à utiliser qu'une trace sur Smartphone, et quasiment impossible en plein vent)? Un abri en toile ? Apparemment non (j'en emmène toujours un en Raid, ça ne pèse pas lourd, et ça peut t'aider à tenir quelques heures en plein vent, il en existe pour 2,4,8 places).
Ce que je note surtout, c'est qu'ils suivaient aveuglément leur guide, et qu'à l'endroit où ils étaient, au niveau du tuyau relié au refuge, n'importe quelle personne connaissant les lieux auraient conduit tout le groupe en sécurité au refuge, à 10-15 min de là. Et c'est surtout là où je veux en venir.
Au lieu d'accabler le guide, ces gens devraient réaliser qu'une connaissance des lieux, de la course, auraient permis de sauver des vies, et la leur.
En alpinisme, la majorité des personnes souhaitent faire des courses avec un leader capable de les emmener dans des sections difficiles qu'ils ne pourraient passer en tête. Nombreux sont ceux qui "font confiance" et ne consultent peu ou pas le détail de la course envisagée, que ce soit en alpi ou en ski de rando.
En formation, j'insiste beaucoup sur ce point, de n'effectuer des courses que l'on serait capable d'effectuer en tête, de faire des cordées de niveau homogène. Plus que tout autre chose, c'est un élément de sécurité fondamental, et probablement le plus important.
Le documentaire en question : https://www.arte.tv/fr/videos/100241-000-A/mortelle-tempete-dans-les-alpes/
A chacun de se faire sa propre opinion...
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