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Aventure au Spantik (7027m)

L'échec aurait été de sombrer dans la (trop grande) facilité. Un sommet à 7000m, à 2, seule équipe sur la montagne, physiquement c'est dur, comme on avait pu s'en rendre compte l'an dernier à l'Himlung (ici), même si nous n'en étions pas très loin, à quelques broches près... Mais c'est de cette façon dont nous voulions le faire.

Tout avait pourtant bien commencé : en 5 jours seulement nous avions réussi à installer notre camp 2. Retour sur cette expédition au Spantik de Juin 2022.


Programmée pour Juin 2020 puis Juin 2021, et annulée par les autorités pour cause de Covid, notre idée initiale était d'arriver bien acclimatés (après 1 ou 2 mois au Népal) pour pouvoir gravir ce sommet. En 2022 il en sera autrement mais le Spantik est un sommet "facile" aussi nous sommes (un peu trop) confiants et sereins sur nos chances. Après un vol pour Islamabad, nous prenons un 2ème vol pour Skardu. Quel bonheur de s'éviter les 2 journées de jeep qui m'avaient paru interminables il y a 15 ans (mais ceci est une autre histoire...).

Atterrisage à Skardu
Atterrisage à Skardu

S'ensuit 6,7h de jeep pour le village d'Arundu puis trois jours de marche dont un sur glacier pour atteindre le camp de base à 4300m. Nous sommes tôt en saison, le glacier est piégeux et nos porteurs s'exposent, je n'aime pas ça. Leur travail fut remarquable et je suis gêné de leur avoir fait courir des risques (une des raisons pour lesquelles je ne sollicite pas de porteurs d'altitude) ; aussi le pourboire sera conséquent et je me fends d'un petit discours (visible ici) avant leur départ. Nous sommes la seule expédition sur place, comme sur les 7 dernières montagnes d'affilée sur lesquelles je suis allé, le pied !! Grâce au choix des sommets, la date, et la folie Covid.

Camp de base du Spantik : emplacement exceptionnel
Camp de base du Spantik

La montée à l'emplacement du camp 1 (habituellement sèche et sur une sente qui serpente entre les rochers) se décompose en deux grandes parties : une 1ère jusqu'à l'emplacement d'une plateforme qui peut se faire sans crampons ni piolet, et une seconde beaucoup plus alpine dans un terrain mixte à cette époque de l'année. Cette partie de l'ascension m'a beaucoup plu.

Itinéraire du Spantik (vu depuis le camp 1)
Itinéraire du Spantik (vu depuis le camp 1)

Mis à part un très beau passage de grimpe de 10m de niveau 3+ dans un joli mur blanc raide et très prisu, la 1ère partie ne comporte aucune difficulté. Avec nos sacs lourds ce n'est pas si simple mais nous pouvons par la suite contourner ce passage par une vire (obstruée par la glace lors de notre 1ère montée). La seconde partie comporte quatre difficultés : le névé raide de la plateforme (au pied duquel nous laissons piolets et crampons) qui nécessite de faire de belles marches, une petite traversée expo de 10m au-dessus d'un petit ressaut où Emilie fera une glissade dans la neige sans conséquences en s'arrêtant juste avant la cassure (gloups) ; et le passage dit de l'écaille : du rocher en 3 où il faut (surtout à la descente) mettre tout son poids sur une écaille plantée à 45 degrés qui ne restera pas en place éternellement. Ce passage peut s'éviter par une pente de neige assez raide au-dessus d'un couloir expo (surtout que nous ne sortirons jamais la corde entre camp de base et camp 1), faîtes votre choix camarade ! Emilie préfère l'écaille alors que je préfère la pente de neige, aussi en général nous prenons l'option neige à la montée, l'option écaille à la descente. Puis enfin le passage dit des feuillets, une petite arête en feuillets effilés (bien pourris) de 4m de long au-dessus du vide. Ici aussi nous le contournerons plus tard en prenant un passage court mais raide en glace. A tout cela s'ajoute une traversée finale un peu angoissante car on ne sait pas où se situe la fin de la corniche. Discussions à chaque fois pour savoir qui s'y colle. A ce petit jeu je perds souvent puisqu'Emilie propose le deal suivant : tu leades, je fais la popote !

réchaud

Après une 1ère montée pour faire un dépôt de matériel (baudriers, corde, tente, ...) au camp 1, nous remontons avec de la nourriture pour cette fois-ci y dormir. Un orage violent s'abat sur nous après avoir construit notre camp 1 dans la neige à 5100m et après la nuit nous continuons sur l'arête en vue du camp 2. Le mauvais temps nous oblige à établir un camp 1 bis à 5200m, et le lendemain nous allons à 5400m pour déposer tente, nourriture, gaz à l'emplacement de notre camp 2. 3ème taillage de plateforme dans la neige en deux jours. Je décide d'y laisser aussi ma doudoune et mon sac de couchage, choix qui aurait pu s'avérer problématique, et nous matérialisons cette dépose par un monticule de neige surmonté de bambous à fanions. Nous aurions pu y dormir une nuit mais filons en bas nous reposer avant de planifier une nouvelle montée au camp 2, nuit, puis dépôt de matériel au camp 3.

Camp 1 au Spantik
Camp 1 au Spantik

Seulement lors de cette montée, un front noir arrive sur nous ; la neige et le vent nous cueille à mi-chemin du camp 1 et nous faisons demi-tour. Dès lors le mauvais temps s'installe pour plusieurs jours. Nous profitons d'une accalmie pour faire un dépôt de gaz et de nourriture au camp 1. Puis le temps empire, il neige sans arrêt, et une petite tempête s'abat sur nous une nuit : des vents à 50-70 km/h, 50 cms de neige à l'horizontale et le bruit d'un petit moteur en permanence. En France, on nous annonce 150cms de hauteur de neige cumulée en 5 jours !

Notre cuistot au réveil est très inquiet, et a bien compris qu'il n'était pas en sécurité. Il faut dire que 2 soirs de suite un couloir au-dessus du camp (style couloir du goûter) a déversé de grosses pierres sur le camp, au niveau de l'endroit où nous prenons de l'eau et sur un emplacement au-dessus. Notre tente est à l'abri des pierres à priori, mais s'il neige plus, une avalanche de taille moyenne pourrait nous ensevelir. Auparavant, le camp de base était installé plus bas sur le glacier et je comprends pourquoi. Mais que faire ? On ne peut ni monter, ni descendre, et juste prier pour que le beau temps annoncé revienne, ce que ne manque pas de faire notre cuisinier ("1ère et dernière fois que je viens ici" nous dit-il). Jamais je n'ai vu de camp de base aussi dangereux, un vrai traquenard. Les prochaines heures furent assez tendues, et l'inquiétude bien partagée.

Une équipe (cuistot, et son aide) exceptionnelle
Une équipe exceptionnelle (notre cuistot Ali, et son aide Akbar)

Finalement après ces huit jours de mauvais temps le soleil tarde à faire son apparition et contrarie nos plans. Notre départ pour ce qui sera notre unique tentative pour le sommet est décalé jour après jour et nous sommes désormais contraints d'effectuer camp de base - camp 2 puis camp 2- camp 3, camp 3 sommet - camp 3, camp 3 - camp de base et le lendemain départ du camp de base : planning chargé ! Toute la neige qui s'est accumulée complique notre montée camp de base - camp 1, avec une neige très croûtée, plaquée en surface et molle en dessous : Emilie fait la trace puisque j'avais profité de l'accalmie pour déposer mes grosses chaussures sur la plateforme à mi-parcours (je suis donc en chaussures de randonnée pour effectuer la 1ère partie de cette jonction). Nous mettrons 3h30 au lieu des 2h15 de la dernière fois. Le petit passage de traversée est en glace : Emilie part devant, les crampons sur de la glace fragile et décollée du rocher. Je suis impressionné par tant de maîtrise et de sérénité vu qu'elle avait déjà glissé à cet endroit ! Pourtant partis de nuit il n'y a aucun regel et une fois arrivés sur l'arête la neige croûtée cède la place à de la neige bien collante sous les pieds : nous mettons les snowplaks afin de faciliter cette progression mais nous nous retrouvons vite avec des tonnes de neige sous les pieds en mode pieds d'éléphant ; je persiste à continuer dans cette voie en me disant que tout le travail effectué à l'aller nous sera bénéfique lors de notre redescente. Mais faire la trace m'épuise, la progression est de plus en plus difficile et nous mettrons plus de 10h à atteindre le camp 2 alors que nous visions 7h.

Camp 2 au Spantik
Camp 2 au Spantik

Perclus de crampes et totalement épuisés nous arrivons au camp 2 où émerge deux de nos bambous d'à peine 1cm de la neige ! Autant dire que nous sommes très chanceux car sans cette indication il aurait été très compliqué de retrouver notre dépôt. Je dois creuser plus d'1m50 pour déterrer tout d'abord nos bambous puis la tente pliée en dessous, puis nos affaires dans un sac étanche, puis mon duvet emballé dans un sac poubelle percé. Mon duvet, qui m'a bien manqué au camp de base est complètement trempé, et non pas juste mouillé : nous devons l'essorer pour le dégorger de toute cette eau, autant dire une grosse tuile (c'est la 1ère fois que ça m'arrive). Une fois la tente montée je profite des deux heures de soleil pour faire un peu sécher le duvet et la nuit ne sera pas si terrible.

Le lendemain nous prévoyons de partir de nuit mais vu notre état nous décidons de reporter d'une nuit notre ascension et de partir directement du camp 2 pour le sommet sans faire de camp 3 ! Cependant même la nuit la croûte infâme est présente et après avoir effectué 200m de dénivelé un rapide calcul nous donne entre 20 et 30 heures pour atteindre le sommet à ce rythme, suivant la qualité de la neige au-dessus de 6000m. Réalistes quant à nos capacités nous signons le but.

Descente de l'arête, Spantik, Pakistan
Descente de l'arête

Alors oui nous étions très contents d'avoir cette montagne rien que pour nous et tous ces paysages sublimes qui l'entourent. Mais pour réussir un 7000 à 2 il faut que tous les voyants soient au vert ou prendre beaucoup plus de temps qu'une expédition classique, ou ne pas être la seule expédition sur place, l'union faisant la force, notamment pour faire la trace. Nous rentrons au camp de base où nous partageons la déception de notre cuistot et de son aide qui auraient fortement aimés que nous réussissions ce sommet mais qui nous l'avaient dit : à deux, c'est impossible, vous devriez prendre un porteur d'altitude. Eternelle rengaine à laquelle je ne souhaite pas adhérer. Après la redescente sur le glacier et une étape de 11 heures, 26 kms dont la moitié sur le glacier afin d'économiser une journée nous croisons deux grosses expés qui débutent la saison : 4 grimpeurs assez hautains accompagnés de 2 guides et de 5 porteurs d'altitude. Ensemble ils feront probablement le sommet (errata : ils n'atteindront pas le sommet) mais je ne suis pas jaloux : grimper tout en se faisant porter l'essentiel de son matériel n'est pour moi tout simplement pas de l'alpinisme aussi j'espère que je continuerai à tenter des sommets à ma façon de et non pas de façon assistée ; chacun fait comme il veut mais pour moi l'échec serait de sombrer dans la facilité.

Seuls au monde
Seuls au monde
Portage à la descente : 23 kgs !
Portage à la descente : 23 kgs !
Réconfort au camp de base
Réconfort au camp de base

Et la vidéo de 30 min est en ligne ici : https://youtu.be/MHbqmEYo2dY

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